Docteure en nano-toxicologie, enseignante en ingénierie biomédicale, et chercheure CNRS au sein de l’équipe BioMicroDevices à l’Institut FEMTO ST de l’Université de Franche-Comté, Agathe Figarol nous présente son projet 3D Glimpse pour combattre le glioblastome.
Comité Pro Anima : Le Comité scientifique Pro Anima et la Fondation Descroix-Vernier ont été absolument ravis de vous remettre le Prix Descroix-Vernier EthicScience 2023 dans la catégorie Prix du Jury pour votre projet « 3D Glimpse. Une tumeur-sur-puce pour combattre le glioblastome ».
Pourriez-vous présenter en quelques mots, pour nos lecteurs, votre projet, ses particularités, les objectifs et résultats (en matière et/ou d’application) que vous attendez et sous quelles échéances ?
Agathe Figarol : Merci encore pour cette reconnaissance, elle vient soutenir ce projet 3D Glimpse qui veut développer un modèle au laboratoire de tumeur de cerveau humain. L’objectif est de pouvoir mieux étudier le glioblastome, le cancer cérébral le plus fréquent et le plus agressif, mais aussi de tester des nouvelles approches thérapeutiques pour le combattre.
La technologie utilisée est celle des organes-sur-puces. Cela combine ingénierie tissulaire pour reproduire le tissu humain (ici celui du glioblastome) et microtechniques pour la fabrication de la micropuce, et de ses micro-canaux dans lesquels un fluide biologique est perfusé pour reproduire la circulation sanguine. C’est donc un projet très pluridisciplinaire.
Plusieurs prototypes de tumeur-sur-puce vont voir le jour, de complexité croissante, à des échelles de temps variant d’un an et demi, 3 voire 5 ans. Tout d’abord un tissu sain avec la particularité de reproduire différentes tailles de vaisseaux sanguins : veinules et capillaires, avec leur organisation très particulière au sein du cerveau : 3 types de cellules (endothéliales, astrocytes, péricytes) qui se superposent pour former la barrière hématoencéphalique (entre le sang, et le cerveau). Dans un second temps, des cellules cancéreuses vont être ajoutées pour reproduire le glioblastome et sa vascularisation. Dans un troisième temps, la micropuce va être équipées de « bio »-capteurs pour détecter le transport et l’efficacité de nouveaux médicaments. Les questions auxquelles cette puce répondra sont par exemple : est-ce que ce nouveau nano-médicament est capable de passer la barrière hématoencéphalique, est-ce qu’il est efficace pour détruire les cellules cancéreuses, quels sont ses impacts sur les cellules saines environnantes, peut-on prévoir sa toxicité et les effets secondaires qu’il va entrainer ? Afin d’aller plus loin dans les réponses possibles, la micropuce pourra continuer à être optimiser en ajoutant des types cellulaires (comme les cellules du système immunitaire), ou en l’associant avec d’autre organes-sur-puce (par exemple l’intestin, pour étudier le lien avec le microbiote). Pleins d’idées pour les années à venir !
PA : A quelle phase de votre recherche, le Prix (la dotation) intervient-il ?
AF : Le projet 3D Glimpse commence tout juste depuis 1 an. Bien sûr, il est le fruit d’explorations préalables, notamment durant mon postdoctorat à l’Université d’Osaka, où j’ai travaillé sur la reproduction d’un réseau de capillaires sanguins cérébraux au sein d’un gel. Mais c’est depuis que j’ai rejoint l’institut FEMTO-ST à Besançon, et une équipe spécialisée en microsystèmes pour la santé, qu’il se déploie vraiment. Le fait d’avoir un poste pérenne d’enseignante-chercheuse m’a également permis de me projeter sur plus long terme, et de répondre à des appels à projet tel que le prix Descroix-Vernier EthicScience. Des projets étudiants avec l’ISIFC, l’école d’ingénieur en biomédical où j’enseigne, ont permis de défricher le sujet. Une étudiante en Master m’a rejointe au début du mois pour un premier stage long et un vrai démarrage des expérimentations.
PA : La condition déterminante du Prix Descroix-Vernier EthicScience est de promouvoir et de récompenser des programmes hors modèle animal. Quelles ont été vos motivations, les raisons qui vous ont poussé à travailler à partir de méthodes substitutives à l’expérimentation animale ?
AF : En plus de la question éthique, primordiale, s’ajoute une question scientifique. Ce qui m’intéresse est de comprendre le vivant. L’expérimentation animale s’apparente à une « boîte noire » dont on ne sait pas bien quels paramètres entrent en jeu. De plus, les résultats ne sont pas toujours fiables, puisqu’éloignés de l’humain. Aujourd’hui pour autant, l’expérimentation animale parait encore difficilement évitable, notamment pour les tests de nouveaux médicaments. Il y a donc une nécessité claire à développer des modèles alternatifs et à prouver leur fiabilité, et leur pertinence physiologique pour qu’ils puissent être un appui pour la recherche médicale.
PA : Avez-vous dû, à un moment de votre carrière, faire des expériences sur les animaux ? Si oui, quelles difficultés ou quels échecs avez-vous rencontrés ?
AF : Lors d’un postdoctorat à Toulouse, pour prouver la validité de modèles in vitro (cellules sur membrane pour représenter les parois de vaisseaux sanguins, et sphéroïdes pour représenter des tumeurs), j’ai dû faire appel à une collègue pour réaliser des tests préliminaires sur des souris porteuses de tumeur. Il s’agissait de souris témoins d’une autre étude, ce qui nous a permis de limiter l’utilisation d’animaux. Cela remonte à quelques années déjà où l’expérimentation in vivo était quasiment systématiquement demandé par les journaux scientifiques. Les mentalités évoluent peu à peu.
PA : Dans quel contexte de la recherche (française, européenne, internationale), votre programme s’inscrit-il ? Quels sont les enjeux de votre projet ?
AF : Le projet 3D Glimpse a reçu une aide locale via l’Université de Franche-Comté, et régionale à l’échelle de la Bourgogne-Franche-Comté, avant de recevoir ce prix Descroix-Vernier EthicScience lui octroyant une reconnaissance à l’échelle nationale. Si le projet s’inscrit effectivement dans un environnement de partenaires locaux, il est résolument international, d’une part via des collaborations avec des universités et entreprises japonaises, mais également via ses enjeux de santé publique, et éthiques. Le cancer du cerveau représente en effet 2% de l’ensemble des cancers, soit l’équivalent de 7,7 millions d’années « perdues » (à cause de la maladie, des handicaps en résultant, ou de mort précoce). Il est la 2ème cause de cancer chez l’enfant, après les cancers du sang. Trouver de nouvelles approches thérapeutiques aurait donc des retombées capitales au niveau mondial. En outre, en s’attaquant à un des challenges du domaine de l’ingénierie tissulaire : la vascularisation, le projet 3D Glimpse pourra être un socle pour le développement d’autres modèles de tissus humains sur micropuces, et participer à l’essor des alternatives à l’expérimentation animale.