Tilly Metz et Caroline Roose
White rabbit in scientific lab experiment

Tilly Metz et Caroline Roose


Deux députées engagées pour la recherche non-animale

SES110 — Sept. 2023

Deux eurodéputées au profil et au parcours complémentaires pour une cause commune. Caroline Roose, portée par son amour de la nature et des océans, défendant corps et âme le grand oublié du bien-être animal, le poisson, et Tilly Metz, qui porte le sujet de la santé et le concept de One Health à bras-le-corps pour repenser notre système et nos rapports au monde vivant.

Nous avons eu l’honneur et le plaisir d’échanger avec ces femmes incroyables, passionnées et profondément humaines, dont le mot d’ordre est « de ne rien lâcher » pour les animaux, les êtres humains et la planète. Nous vous laissons découvrir sans plus tarder l’interview croisée de ces deux femmes réunies par la même passion et qui ont décidé de donner leur temps et leur énergie pour faire évoluer les mentalités et faire avancer nos sociétés.

Caroline Roose – Tilly Metz, eurodéputées Groupe Les Verts / ALE

Comité Pro Anima : Pouvez-vous pour nos lecteurs vous présenter en quelques mots, nous expliquer ce qui vous a notamment poussé à vous engager en politique et plus particulièrement à un niveau européen ?

Caroline Roose : Je suis née en Belgique et réside en France, je suis ainsi élue pour une délégation française. C’est mon premier mandat de députée européenne et même mon premier mandat tout court. Je suis membre du groupe des Verts ALE et active dans le milieu associatif depuis de nombreuses années. J’ai fait partie des blouses roses en milieu hospitalier pour les enfants malades. J’ai également passé énormément de temps dans les refuges animaliers, mon père m’avait ramené un jour un chien abandonné et ça a commencé comme ça. Depuis, j’ai donné de mon temps dans les manifestations, contre les delphinariums et la tauromachie, pour la protection de l’environnement et plus particulièrement des fonds marins. En effet, j’ai grandi avec la mer, mon père et mon mari étaient marins, moi-même, j’ai été marin embarquée. La protection des océans signifie beaucoup pour moi et se traduit dans mon mandat notamment dans ma relation avec la commission de la pêche. Parce que le grand oublié du bien-être animal pour moi aujourd’hui, c’est le poisson. Quand on parle du poisson, on parle de quota, de tonnes mais pas de d’espèces. Ce ne sont que des marchandises et ça pour moi, c’est une aberration.

Tilly Metz : Je suis née à Luxembourg-Ville et membre du parti écologiste les Verts depuis 2001 et dont j’ai été la porte-parole. J’ai été bourgmestre de 2005 à 2011 d’une petite municipalité et conseillère communale de la ville de Luxembourg. Depuis juillet 2018, je suis membre du Parlement européen, réélue en mai 2019. J’ai été présidente de la Commission d’enquête sur la protection des animaux pendant le transport (ANIT). C’était vraiment la première commission consacrée à 100 % au bien-être animal. D’avoir eu l’honneur de pouvoir présider cette commission était vraiment très important pour moi et même ma plus grande fierté, si je peux dire, dans mon parcours ici au Parlement européen. Je suis aussi présidente de l’Intergroupe Bien-être animal, qui regroupe les députés intéressés par cette cause dont Caroline, qui en est la vice-présidente. On est le deuxième intergroupe au Parlement sur le plan de la taille. On a d’ailleurs un sous-groupe de travail Animal in Science que j’ai présidée aussi. Ainsi, avec la priorité du bien-être animal, et les animaux en science, une de mes autres priorités absolues, c’est tout ce qui tourne autour de la santé et le concept de One Health, une approche holistique de la santé. C’est vraiment par excellence un domaine où les sujets se rejoignent. Et un de mes combats dans le domaine, c’est certainement de sortir enfin de l’expérimentation animale et d’en faire une priorité politique, puisqu’aujourd’hui et de plus en plus, il y a des alternatives.

 

“On a besoin de toutes les parties prenantes. On a besoin des lobbies, des laborantins, de tout le monde autour de la table pour discuter de cette transition vers une innovation sans recours à l’animal et expliquer que cela est possible.”

Caroline Roose

PA : Selon vous, quels sont les principaux blocages à la transition vers une recherche non-animale ? Quels leviers d’action identifiez-vous comme étant les plus pertinents pour dépasser ces obstacles ? Pourrait-il y en avoir d’autres dans un futur proche ?

Caroline Roose : Il y a le poids des lobbies qui est pour moi terrible et représente un vrai blocage. Ce n’est pas propre au sujet de l’innovation scientifique et de l’expérimentation animale. C’est pareil dans d’autres commissions. Mais sur ce sujet, la puissance des lobbies pharmaceutiques est en effet importante. Je me rappelle, j’avais écrit une lettre à la compagnie Air France pour demander l’arrêt du transport des primates. Et ce n’est pas Air France qui m’avait répondu, mais les labos directement qui ont su que j’avais écrit. Toutefois, je pense qu’il faut aller au-delà de ça. On a besoin de toutes les parties prenantes. On a besoin des lobbies, des laborantins, de tout le monde autour de la table pour discuter de cette transition vers une innovation sans recours à l’animal et expliquer que cela est possible. Il faut parler ensemble et je pense qu’on arrivera à avancer beaucoup plus vite.

Dans le futur, j’aimerai que les futurs laborantins soient formés directement d’abord aux méthodes alternatives, parce que ce n’est pas le cas aujourd’hui. Ils sont formés avec l’utilisation des animaux, ce qui crée notamment de l’automatisme. Et ça c’est problématique. Il est possible de générer des enveloppes justement pour former les laborantins d’abord aux méthodes alternatives. On débloque des fonds pour bien d’autres sujets, on peut avoir des fonds pour cela, c’est possible et ça doit être fait. Il y a tellement de sujets sur le bien-être animal, il faudrait également qu’on soit beaucoup plus et qu’on ait une commission dédiée à ce sujet. Ça changerait beaucoup de choses, ainsi qu’un portefeuille dédié et non pas dépendant de celui de l’environnement.

Tilly Metz : C’est une question de financement et de cohérence politique. Parce que l’obstacle premier, c’est clairement le financement. Mais je pense que le plus important aussi c’est dans la tête des gens, dans les mentalités et dans la connaissance. Je pense que pour beaucoup de scientifiques en exercice, c’est tellement l’habitude, la tradition de faire des tests sur animaux qu’ils ont du mal à s’imaginer une recherche, une science sans tests sur animaux. De fait, il y a le problème de ce qu’on apprend à l’université et de ce qui est propagé. Et là il faut faire encore davantage, des formations dans les études des futurs chercheur(e)s, mais aussi des séances d’information pour d’autres acteurs, comme j’ai pu organiser récemment pour des assistants. Il est nécessaire de donner beaucoup plus de place à la formation et à la connaissance de ces alternatives qui existent.

Donc financement, formation et changement de mentalité. Mais il y a aussi des raisons temporelles, économiques, d’efficience et transférabilité pour qu’on investisse de façon beaucoup plus conséquence dans les alternatives. Parce qu’on sait que la plupart des tests sur animaux ne sont pas transférables. Quand on pense aux maladies d’Alzheimer, de Parkinson et d’autres pathologies. Notre vie d’être humain est tellement plus complexe et dépend beaucoup de notre style de vie. Nous ne sommes pas des rats de 70 kilos.

Et je suis également persuadée que si nous avions un commissaire santé et bien-être animal, en tout cas dédié 100 % à cela, et qui le soit de façon claire tant dans son titre que dans ces responsabilités, ça pourrait faire partie des leviers.

Je pense que maintenant on est arrivé à un moment où on doit se dire on a des alternatives, il faut passer à autre chose. Une société qui se veut civilisée, c’est aussi comment on se comporte par rapport à tous les autres qui partagent notre planète. Et c’est en ce sens que je développe cette approche de One Health, une approche globale de la santé qui est cruciale, parce que c’est en effet aussi la façon dont les maladies se développent chez les animaux, la façon dont on traite les autres êtres vivants ; tout cela a aussi une conséquence sur la santé humaine.

Crédit image : Tilly Metz

PA : Le vote en 2021 du Parlement européen à une quasi-unanimité en faveur de l’accélération d’une innovation sans l’utilisation des animaux est un signe fort, mais aussi envoyé à la Commission européenne. Alors que le Parlement européen, dans sa résolution, reconnaissait des obstacles notamment bureaucratiques dans le développement des méthodes non-animales, la Commission européenne vous semble-t-elle prête à participer plus concrètement à cette accélération ?

Caroline Roose : Au sein de la commission, au niveau de mon mandat, on a eu durant cette mandature des débats en plénière, une chose qu’apparemment avant il n’y avait pas. Ensuite, c’est sûr qu’avec certains groupes politiques au niveau des débats, ce n’est pas encore ça. Par exemple sur le dernier débat concernant l’expérimentation animale, j’ai eu un peu de mal sur les positions de chacun, mais je trouve qu’on arrive tout de même à fédérer, ce qui pour moi est d’une importance capitale. Le dernier débat a demandé à la Commission d’avoir une feuille de route. Aujourd’hui il n’y a rien de contraignant, comme dans beaucoup de directives malheureusement. C’est pourquoi le Parlement européen doit continuer à faire pression sur la Commission européenne pour obtenir cette feuille de route et avoir un impact plus contraignant sur les États membres.

“Il y a des domaines même où la recherche est bloquée en restant focalisé sur les tests sur les animaux, le cancer du sein par exemple. On avancerait mieux dans la recherche et la maladie, si on utilisait les méthodes alternatives.”

Tilly Metz

Tilly Metz : Honnêtement, je n’aurais pas cru que nous aurions eu un tel soutien du Parlement et je dirais même avoir eu les larmes aux yeux, j’étais hyper heureuse. Avec cette résolution qui mentionne clairement à nouveau la suppression des tests sur animaux, maintenant, il faut que des actes concrets s’ensuivent. J’en ai un peu marre que pour diverses raisons, on soutienne les paroles, on dise oui c’est vrai, c’est cruel, mais quand on revient concrètement à des actes pour sortir des tests sur animaux, ça devienne beaucoup plus compliqué. Soyons cohérents et conséquents par rapport à la directive de 2010 qui très clairement mentionne pas seulement les 3R, mais comme objectif ultime la sortie des tests sur animaux. Alors est-ce que la Commission est prête ? Dans les paroles, oui. Mais il leur faut beaucoup de pression.

Parce qu’entre temps, ce sont des millions d’animaux qui sont utilisés chaque année à des fins scientifiques. Il y a des domaines même où la recherche est bloquée en restant focalisé sur les tests sur les animaux, le cancer du sein par exemple. On avancerait mieux dans la recherche et la maladie, si on utilisait les méthodes alternatives. Un autre exemple, le développement d’anticorps pour lequel on n’aurait pas besoin de recourir aux animaux, ou encore les maladies comme Alzheimer que les animaux ne développent pas naturellement, et que nous leur créons artificiellement. Ce serait pourtant facile de faire un état des lieux. On a des guidelines qui existent déjà, développées par la Commission, pour les tests alternatifs sans animaux. Il faudrait maintenant en faire une véritable priorité politique et dire de façon conséquente où on peut remplacer tout de suite, quelles sont les étapes pour les secteurs où il est nécessaire de sortir progressivement et ceux où on semble encore avoir peut-être peu d’alternatives. C’est aussi une question de crédibilité des institutions européennes. Les gens nous attendent sur ce point.

 

PA : Au regard de ces lacunes / faiblesses (absence d’une feuille de route, d’échéances, effets non contraignants pour les États membres…), une révision de la directive européenne 2010/63/UE ne serait-elle pas nécessaire / pertinente ? Dans le cas contraire, est-ce que d’autres outils juridiques pourraient-ils être utilisés ou devraient-ils voir le jour ?

Caroline Roose : On a besoin que cette directive européenne, existante aujourd’hui, soit déjà appliquée. Parce que j’ai quand même une crainte. Cette directive n’est certes pas extraordinaire, mais on l’a et elle a le mérite d’exister. Si on la réouvre, qu’est-ce qu’il va en rester ? Est ce qu’on ne va pas retirer des choses qui sont plus ou moins contraignantes malgré tout ? Réouvrir un texte, c’est toujours compliqué. C’est pour cette raison que la priorité est de pousser à ce que ce soit plus contraignant au niveau des États-membres par cette feuille de route de la Commission. Mais je pense qu’on va y arriver et on ne lâchera rien, ça c’est sûr.

Tilly Metz : De ma perspective, ce serait quand même intéressant de la réviser. Je ne dis pas que cette directive est mauvaise, puisque les 3R et la sortie de l’expérimentation animale sont clairement mentionnés, avec d’autres éléments très valables. Et il ne faudrait pas que tout soit remis en question. Et c’est vrai, quand je vois certains développements en Europe qui ne vont pas dans le sens d’une plus grande protection pour l’environnement et les animaux, bien que de nature optimiste, je suis tout de même inquiète. Il y a toujours un risque, si on ouvre une directive, de se retrouver avec un texte moins bon.

Mais si vous me demandez, si j’étais maintenant commissaire, je dirais oui, on va la réviser. Elle va avoir, lors de la prochaine législature, 14 ans. Je la ferais cependant plus claire. Pourquoi pas ne pas mettre dans la directive cette feuille de route avec des objectifs très précis, pour qu’elle ait encore plus de force. Les régulations, les textes législatifs au niveau européen sont clairs, c’est d’ailleurs plus facile pour tout le monde. Les entreprises en général nous disent “Donnez-nous des règles claires, comme ça on s’adapte”. Cela s’applique dans d’autres secteurs.

Crédit image : Caroline Roose

PA : Souhaitez-vous continuer vos missions au sein du Parlement européen pour les années à venir ? Sinon, sous quelle forme souhaiteriez-vous pouvoir poursuivre vos engagements ?

Caroline Roose : Oui, je voudrais continuer à faire ce que j’aime le plus et défendre les animaux et je voudrais en faire davantage. Parce qu’en terme de bien-être animal, l’année 2024 sera très importante et même charnière. J’ai donc candidaté, on est en train de travailler avec mon parti. Ma candidature a été reçue et acceptée et pour l’instant je suis septième sur la liste. Donc c’est bien parti. Après, je croise les doigts parce que je ne crie pas victoire en amont, mais j’espère être là en 2024 et continuer à me battre pour les animaux. Il y a la révision de la législation bien-être animal et toutes ces ICE en cours. Il y a énormément de choses à faire. J’étais encore devant Marineland ce week-end (16 – 17 juillet 2023) à manifester contre les cétacés. On voit que ça commence à bouger, que ce soit pour la fourrure, pour l’expérimentation animale, pour le commerce d’ailerons de requin, autant d’aberrations. Il faut continuer à travailler comme ça avec la Commission européenne. A force d’expliquer les choses, on voit l’importance du sujet, c’est transversal, ça touche tous les secteurs. Et il ne faut pas s’arrêter d’en parler parce que tout le monde n’est pas au courant de tout de ce qui se passe. Il faut arriver à ce qu’un jour on n’utilise plus du tout d’animaux. Un animal, ce n’est pas un objet, c’est un être vivant qui est sensible.

Tilly Metz : Très clairement, oui. Il faut que mon parti me soutienne. Évidemment, il faut que les électeurs et les électrices le voient aussi comme ça. Mais je me battrais pour pouvoir continuer à m’engager au niveau européen, surtout quand je pense à la cause animale, parce qu’il y a la révision de nombreux textes sur lesquels je voudrais travailler et les sujets que nous avons abordés ensemble sur les animaux en science. C’est quelque chose qui me fait beaucoup souffrir. Il y a encore tant de combats à mener.

 

Comité Pro Anima : Nous vous savons toutes les deux proches et partageant des combats essentiels pour notre avenir. Vous avez fait parties des eurodéputés les plus actifs et engagés pour soutenir la résolution du Parlement de 2021, mais aussi l’ICE Save Cruelty-Free Cosmetics, et ainsi tout le dialogue avec la Commission. Nous imaginons votre collaboration précieuse ?

Caroline Roose : Avec Tilly, c’est un travail d’équipe. Nous sommes parties en mission de terrain pas mal de fois pour la commission d’enquête sur le transport des animaux, où on dormait dans les voitures. On a la même sensibilité et on se complète. J’aimerais que Tilly soit là aussi au prochain mandat et qu’on puisse continuer à travailler ensemble parce qu’on a très bien travaillé tout au long du mandat. C’est une force de pouvoir se serrer les coudes, de pouvoir se donner un avis quand elle ou moi sommes sur le terrain seules, mais aussi avoir des idées complémentaires. Ça nous réunit et ça nous renforce davantage. C’est ça, je crois, ce tempérament de ne rien lâcher.

Tilly Metz : Caroline est une alliée très importante, que j’apprécie beaucoup, surtout elle qui défend beaucoup les mers et les océans, la vie aquatique. On a une très chouette coopération ensemble. On a beaucoup de combats communs comme la corrida par exemple, ou la protection des requins. Nous sommes des alliées précieuses et j’espère qu’on sera là de nouveau toutes les deux après les élections en 2024. Parce qu’il y a certaines personnes qui se mettent « un manteau de bien-être animal », mais qui très vite, une fois élues, oublient cela. Et Caroline n’est pas de celles-là. Il y a un engagement cohérent et conséquent. Et ce sont des gens comme ça dont on a besoin au Parlement.