Une étudiante vétérinaire, membre de Pro Anima écrit au préfet du Bas-Rhin


27 mai 2015

Salomé POLLET
Etudiante en 5e année à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort
Membre du comité scientifique Pro Anima

Strasbourg, le 18/05/2015

Avis scientifique quant à l’extension du centre de primatologie de Niederhausbergen

A l’attention de M. le Préfet,

Je vous écris pour vous faire part de mon incompréhension quant à l’extension du centre de primatologie de Niederhausbergen autorisée par un arrêté préfectoral daté du 4 juillet 2014. Ce centre va passer de 800 à 1600 primates, dont une importante quantité est destinée à des expériences sur des maladies neuro-dégénératives.

En Europe, 70 % des primates non humains sont utilisés pour des tests de sécurité et d’efficacité des médicaments, 15 % en recherche et développement de médicaments et 15 % en recherche fondamentale (Burm et al. 2014). Les expériences réalisées sur ces animaux peuvent être très invasives et générer de la souffrance et de la détresse. Par exemple, lors d’études comportementales, les animaux peuvent passer toute la durée de l’expérience sanglés à une chaise ou dans une cage de contention, et être nourris et abreuvés uniquement quand ils réalisent les tâches demandées avec succès. Pour l’étude de maladies neuro-dégénératives comme la maladie d’Alzheimer, on peut détruire sélectivement certaines parties de leur cerveau pour mimer les symptômes chez l’homme, ou insérer des électrodes au contact des neurones. Dans le cas des tests de recherche d’effets secondaires de médicaments, on donne des molécules à des doses induisant des effets très néfastes voire mortels pour ces animaux.

De plus, ces expériences ne sont pas toujours informatives quant à l’étude d’une maladie humaine ou de son traitement. Peu de résultats démontrent l’efficacité de l’expérimentation animale pour le développement de traitements à des maladies humaines ou l’efficacité et l’innocuité des médicaments. Par exemple, pour la maladie d’Alzheimer, une étude a montré que parmi 244 molécules qui avaient été prometteuses à l’issue de tests sur animaux, une seule a passé les essais cliniques humains, avec une efficacité limitée (Cummings et al. 2014). De plus, sur un total de 1200 essais de médicaments potentiels, seuls 5 sont actuellement disponibles sur le
marché et ont une portée curatique uniquement symptomatique (Cavanaugh et al.2014).

Cela s’explique notamment par le fait qu’il existe de grandes disparités entre espèces (et même au sein d’une même espèce), et qu’une espèce animale ne peut servir de modèle pour l’étude et le traitement d’une maladie chez une autre espèce. En pratique, ce mode hasardeux d’évaluation de la sécurité et de l’efficacité de médicaments pose de sérieux problèmes en terme de santé publique : en milieu hospitalier, les effets secondaires des médicaments sont la 4e cause de mortalité après les maladies cardiaques, les cancers et les accidents vasculaires cérébraux (Lazanou et al. 1998).

Cependant, des alternatives à l’utilisation d’animaux en recherche existent. Ce champ très récent de la recherche médicale offre des possibilités variées, de tests toxicologiques in vitro, à travers l’étude de modèle bioinformatiques (QSAR ou « quantitative structure-activity relationship »). Dans le cas de l’étude de maladies neurodégénératives, on peut citer l’existence de cultures in vitro de cellules nerveuses Par ailleurs, de nouveaux modèles de culture cellulaire à partir de cellules souches neuronales devraient permettre d’augmenter de façon importante la prédictabilité des effets de médicaments contre la maladie d’Alzheimer (Mertens et al. 2013). Des
scientifiques sont également engagés dans cette cause, et plusieurs agences de recherche influentes, dont le National Research Council aux Etats-Unis, estiment qu’il est urgent de développer des alternatives au modèle animal.

Si des institutions aussi prestigieuses que l’université d’Harvard (Wyess Institute) ou l’Ecole Polytechnique de Lausanne (Blue Brain Project) se tournent vers le développement de méthodes alternatives, c’est qu’il y a un réel potentiel d’innovation à exploiter, et il y a fort à parier que de nombreuses avancées majeures en recherche se feront par le biais des méthodes alternatives dans les prochaines années. Déjà en 1972, Peter Medawar, Prix Nobel de physiologie en 1960, affirmait que l’utilisation d’animaux n’est qu’un stade ponctuel dans la recherche biomédicale, et que l’essor des méthodes alternatives permettrait de s’en affranchir dans le futur. Ce futur, c’est maintenant. Maintenant que nous avons les moyens technologiques de faire se développer des alternatives prometteuses, il faut mettre les fonds nécessaires pour les soutenir, et non persister sur la voie d’une recherche imprécise et inadéquate.

Enfin, les expériences sur primates non humains sont encadrées par un cadre législatif très rigoureux en Europe et uniquement autorisées quand aucune alternative à leur usage n’existe, notamment la directive 2010/63/EU qui met l’accent sur le respect de la règle des 3R (Raffiner, Réduire et Remplacer ; Russell & Burch 1959). En autorisant l’extension de ce centre, vous allez à l’encontre de la volonté politique de l’Europe de diminuer la place de l’expérimentation animale en faveur de méthodes plus éthiques et scientifiquement valides.

En parallèle à cela s’est développée depuis 2013 l’initiative citoyenne européenne (ICE) « Stop vivisection ». Elle vise à diminuer la place de l’expérimentation animale en recherche médicale au profit de méthodes alternatives. Cette initiative a permis de collecter plus d’un million de signatures de citoyens : elle a fait l’objet d’une séance publique au Parlement de Bruxelles le 11 mai et la décision finale sera rendue fin juin. Il y a aussi une forte demande du public qui demande de limiter les tests sur animaux, tout comme pour l’extension du centre de Niederhausbergen, qui a reçu 60 000 signatures en faveur de sa fermeture.

Je vous remercie de prendre en compte tous ces éléments de reconsidérer la situation, et je vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de mes sentiments distingués.

Cordialement,

Salomé POLLET


Références :

  • Burm S.M., Prins J., Langermans J. & Bajramovic J.J. (2014) Alternative methods for the use of non-human primates in biomedical research, Altex, 31(4) : 520 – 9
  • Cavanaugh S.E., Pippin J.J. & Barnard N.D. (2014) Animal models of Alzheimer disease : historical pitfalls and a path forward, Altex, 31(3) : 279 – 302
  • Cummings J.L., Morstorf T. & Zhong K. (2014) Alzheimer’s disease drug-development pipeline : few candidates, frequent failures, Alzheimers’ Research and Therapy, 6(4) : 37
  • European Union (2010) Directive 2010/63/EU on the Protection of Animals Used for Scientific Purposes, Official Journal of the European Union Law, 276 : 33 – 79
  • Lazanou J., Pomeranz B.H. & Corey P.N. (1998) Incidence of adverse drug reactions in hospitalized patients : a meta-analysis of prospective studies, Journal of the American Medical Association, 279(15) : 1200 – 1205
  • Mertens J. et al. (2013) APP processing in human pluripotent stem cell-derived neurons is resistant to NSAID-based gamma-secretase modulation, Stem Cell Reports, 6(1) : 491 – 498
  • Russell W.M.S. & Burch L.S. (1959) The principles of humane experimental technique, Melthuen, 238p
  • US National Research Council (2007) Toxicity testing in the 21th century : a vision and a strategy, Board on Environmental Studies and Toxicology